Parce que le PCF a un avenir

Par Henri Malberg. Responsable national au PCF

L’Humanité du samedi 10 novembre 2007 a reproduit un débat ayant eu lieu à Argenteuil avec plusieurs dirigeants nationaux du Parti. Cela m’incite à prendre la plume pour contester certains des points de vue exprimés.

Il y a parmi les communistes un débat concernant l’avenir de leur parti. Des camarades pensent que l’histoire a tranché, que le passé est trop lourd, qu’il nous cloue sur place et qu’il faut créer un nouveau parti. Ce serait pour eux un signal qui marquerait pour le pays notre renouveau, et dans ce nouveau parti, il y aurait un « espace organisé » pour les communistes. Puisque des dirigeants pensent ainsi, il est honnête qu’ils l’expriment clairement, mais je ne partage pas l’idée que nous aurions à choisir entre l’immobilisme ou la fuite en avant. Le Parti communiste, notre parti, a un avenir.

Je n’ai pas non plus le regard fixé sur le rétroviseur. Encore qu’il vaille mieux parfois y jeter un coup d’œil. Cela aide à conduire. Je ne suis pas nostalgique. Mon problème, c’est le combat d’aujourd’hui et l’avenir de ce combat. Je crois fermement que, dans les conditions actuelles, renoncer au Parti communiste, ce serait soulager les classes dirigeantes et le Parti socialiste d’une des principales caractéristiques - et chances - de la société française. Ce serait donc une grave erreur.

D’abord, on ne crée pas un nouveau parti comme on lance une marque de lessive. Nouveau parti, avec qui ? On sait que des milliers de militants socialistes, de la LCR ou de Lutte ouvrière pensent souvent comme nous, luttent comme nous. Mais ceux-là resteront dans leur cadre politique et historique. C’est évident. Et je les comprends. Les organisations politiques dans un pays comme la France ont de très profonds ancrages.Il y a aussi divers groupes progressistes, peu nombreux, qui ont envie de faire plus avec nous. Mais cela ne fait pas une nouvelle force politique. Au passage, je n’oublie pas non plus quelques cinglantes déconvenues.

En vérité, la fondation, refondation d’un parti révolutionnaire rassemblant les forces les plus progressistes ne se fait pas au détour d’un congrès ou par l’effet d’une construction intellectuelle. C’est le produit d’une phase historique, d’une profonde secousse qui rebat toutes les cartes. Nous n’en sommes pas là. Additionner des petits groupes, même sympathiques, ne crée pas un nouveau parti. Quant à constituer une formation à la gauche du PS et lui servant de garde-fou, je souhaite du plaisir à ceux qui proposeront cela aux militants communistes.

En vérité, le signal politique de l’« événement » proposé ne serait pas la naissance d’une nouvelle force mais la fin du Parti communiste français. C’est cela qui serait ressenti par le pays et ferait les grands titres de la presse et des journaux télévisés. Pour les milieux dirigeants du pays, y compris ceux de gauche, l’idée d’en finir avec le Parti communiste est une vieille ambition. Depuis 1920, ce parti est dans leurs pattes. Et son rayonnement continue de gêner gravement la recomposition du paysage politique. De plus, engager un tel processus nous clouerait sur place pour longtemps. On imagine, car on connaît la musique, la succession sans fin d’assises et de congrès en tout genre, négociations publiques et conciliabules privés, conflits de places…

Ce que nous avons connu avec les collectifs est une douce romance à côté de ce qui nous attendrait. Il y aurait au total une énorme déperdition d’intelligence et d’expériences accumulées. Et une fois qu’on a tiré le rideau, il faut des générations pour reconstruire une force comme le Parti communiste. Je pense à l’Italie. L’histoire ne repasse pas les plats.

Il y a mieux à faire, même si c’est réellement difficile, très difficile. D’abord, il vaut mieux - et là je pense à nos alliés les plus proches et amis - que chacun travaille. Et le Parti communiste, pour sa part, a beaucoup à faire pour rendre clairs son analyse, son projet politique et sa stratégie. On doit faire ce travail avec tous ceux qui sont intéressés, dans le respect mutuel. Il y a de la demande et des besoins politiques et théoriques.

Donc, objectera-t-on, le Parti communiste seul, avec quelques alliés ? Surtout pas. Le Parti communiste français ne peut avoir le projet de vouloir rassembler en son sein ou dans sa périphérie tous ceux qui veulent faire bouger la société. Le passé, y compris la phase noire du communisme - il y a aussi des phases lumineuses -, nous montre les conséquences de la tentation de faire entrer tout le monde dans le même moule. L’union, l’unité, et tous les rapprochements qui permettent d’avancer sont au cœur de nos choix. Notre axe, c’est la construction d’un mouvement populaire majoritaire, donc un front, des fronts de lutte, et pour des changements profonds. Et sans perdre de vue notre cap, le changement de société. Il faut donc être dans tous les lieux où on peut agir, y compris au gouvernement, à condition de ne jamais oublier pourquoi on y est et pour défendre qui. Ce qui nous est arrivé, il n’y a pas si longtemps. Ici le bât blesse : nous ne parvenons pas à être nous-mêmes, autonomes, critiques, en avant-garde, en même temps que dans l’union. Et parfois, le pouvoir grise…

On ne s’en méfie jamais assez. Ici, une remarque : le rassemblement n’est pas qu’une question d’organisations politiques. Le pays est à 90 % salarié. Excepté pour une couche de cadres intégrés au système, les intérêts du plus grand nombre convergent. L’ouvrier, l’employé comme l’ingénieur et le cadre, et je n’oublie pas bon nombre de patrons sous-traitants et industriels, sont broyés dans la même machine. Sous la coupe d’un impitoyable adversaire : le capital invisible. Le pire. Le procès de ce système qui emmène les sociétés humaines dans le mur devrait être plus incessant. L’unité des forces du travail et de la création est donc un objectif historique. Et ce n’est pas seulement une question syndicale. C’est une grande question politique et sans doute notre point faible. Il faut rappeler que le Front populaire et la Résistance n’étaient pas que des fronts politiques mais de puissants mouvements du peuple et de la société à visées sociale et humaniste, et le résultat de longs combats menés en grande part par les communistes.

Cela dit, beaucoup reste à faire : construire et reconstruire. Personne ne peut se résoudre à la gestion d’un parti trop faible pour peser sur les grandes orientations du pays. Trop faible aujourd’hui, mais pas moribond. Je récuse l’idée de l’irréversible déclin. Celui-ci n’interviendrait en fait que si les communistes l’intégraient après un mûr examen. Ce n’est pas le cas. Il y a une situation et des forces pour redonner vie et couleur à un parti révolutionnaire, progressiste, populaire et intelligent, jeune et féminin, agréable à militer. Et fier des luttes qu’il a menées et mène. Au clair avec son histoire. Il faut en effet un peu s’aimer soi-même pour être aimé des autres. Tout cela est à mes yeux bien plus une question de ligne politique que d’organisation. Et j’espère qu’on va beaucoup travailler en ce sens et vite : analyse du capitalisme et de la société d’aujourd’hui, projet et ligne politique, rôle qu’on souhaite pour le Parti communiste, stratégie d’union et de rassemblement. Et de nombreuses questions chaudes, par exemple les contradictions fondamentales du capitalisme actuel, ou encore comment les choix écologiques influent sur notre conception de la société.

J’ajoute qu’en de tels moments - quand le destin hésite - beaucoup dépend de l’énergie et du courage politique des militants et des dirigeants. Car c’est le fond qui manque le moins !

Bref, dans beaucoup de domaines, je suis très loin de certaines des positions exprimées par mes camarades dans l’Humanité du 10 novembre 2007. Il est important de se le dire au moment où nous avons des choix si importants à faire.

Texte intégral disponible sur le site internet :

www.alternativeforge.net

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