« Nationaliser immédiatement les activités de Mittal »

Dans l’univers Mittal, il y a bien sûr tous les hauts-fourneaux et les sites historiques de Florange, de Dunkerque et de Fos-sur-Mer. Mais il y a aussi toute une myriade de filiales, d’entités diverses et variées, détenues par le financier indien. Industeel en est l’une des plus stratégiques. Avec ses deux principaux sites français, basés au Creusot (Saône-et-Loire) et à Châteauneuf (Loire), l’entreprise fournit les aciers spéciaux indispensables à la construction des centrales nucléaires, des chars de l’armée française, etc.

Bien que plus discrète et parfois « mieux lotie » que les autres au vu de ses fabrications à haute valeur ajoutée, la filiale reste sous le giron du puissant Mittal. Et dans cet écosystème, « c’est la même politique pour tout le monde » nous confie Sébastien Gautheron, délégué syndical central CGT d’Industeel France. Sous-entendu : des sous-investissements, des restructurations, des délocalisations cachées, une politique financière et court-termiste… comme dans l’ensemble du groupe sidérurgique, les nouvelles ne sont pas bonnes.

« On fait difficilement plus stratégique comme production »

Il faut dire que les près de 2000 salariés répartis sur les deux principaux sites français et sur celui de Charleroi (Belgique) ont un savoir-faire inégalable.

Leur activité tourne autour de cinq segments principaux, et non des moindres : les tôles de protections et les blindages (sous-marins, chars, etc.) ; le nucléaire (Framatome est l’un des gros clients de l’entreprise) ; les tôles plaquées, indispensables à la construction des pipelines par lesquels sont acheminés le gaz et le pétrole ; l’inox et les moules utiles à l’industrie plasturgique. Dernière particularité, ils sont parmi les seuls au monde à fabriquer tout cela de A à Z, avec des aciéries électriques notamment.

N’en jetez plus, « on fait difficilement plus stratégique comme production » nous dit fièrement Sébastien Gautheron. Pour le dirigeant syndical, c’est un parfait exemple des raisons pour lesquelles il faut « nationaliser immédiatement les activités d’ArcelorMittal dans le pays ».

Industeel fait clairement partie des « OVNIS » du groupe Mittal. Les productions sont assez faibles, mais à très haute valeur ajoutée. Lorsque la demande faiblit sur l’un de ces segments, l’entreprise peut basculer sa production sur un autre, ce qui assure un carnet de commande constant. L’idée que Mittal puisse partir, avec les brevets, les outils et les savoir-faire, devrait inquiéter tout le monde.

Un heureux investissement dans une coulée continue verticale

En 2021, l’entreprise avait été mise en vente, mais le projet avait fini par capoter. Depuis, 110 postes ont été supprimés et une grosse vingtaine reste sur la sellette, dans les ressources humaines et les finances. Comme dans tout le secteur de la métallurgie, les patrons optimisent les embauches d’intérimaires et le financement de leur activité en fonction de l’Activité partielle longue durée (APLD), le mécanisme qui permet aux entreprises de réduire le temps de travail de leurs salariés tout en recevant une aide de l’État. Concrètement, sur le site de Châteauneuf, « les gars chôment parfois deux semaines par mois dans les aciéries ». « Pendant ces périodes, ils sont payés à 60%, et ce revenu est largement financé par l’État » nous précise le délégué.

Une bonne nouvelle malgré tout, l’entreprise a engagé l’année dernière un investissement de 52 millions d’euros pour l’installation d’une coulée continue verticale, ce qui devrait réduire les émissions de CO₂ de 10 % tout en diminuant les délais de production. Concrètement, « grâce à ce processus, on s’évite de laminer deux fois l’acier et toute une série d’étapes secondaires, on produira mieux et plus vite », assure Sébastien Gautheron qui attend la mise en place de l’outil avec impatience.

« Faites donc confiance aux ouvriers, aux techniciens et aux ingénieurs »

Mais il n’oublie pas que l’entreprise devra se confronter à ses propres contradictions. Il assure que, historiquement, « 50% des métiers s’apprennent dans l’entreprise, sur le tard ». Avec les restructurations successives et les sous-investissements, beaucoup de savoir-faire a été perdu, puisque la formation et la transmission ne se sont pas faites. Et le syndicaliste en sait quelque chose, puisqu’il est lui-même de la troisième génération dans sa famille à travailler sur le site du Creusot.

Il n’y a plus que la nationalisation qui pourrait répondre à ces contradictions, tout en garantissant la pérennité et le développement des sites existants. Et qu’on ne dise pas aux travailleurs que « l’État ne sait pas produire ni vendre de l’acier » ou que « ce n’est pas son rôle ». « Qu’ils se rassurent, on ne demande pas aux ministres de venir faire des tôles et de les vendre, on leur demande de nous donner les moyens de faire notre boulot », s’amuse le dirigeant syndical.

Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, avait d’ailleurs répondu du tac-au-tac à cette inquiétude mal-placée de celles et ceux qui craignent la nationalisation de la sidérurgie depuis 30 ans : « Faites donc confiance aux ouvriers, aux techniciens et aux ingénieurs, c’est l’or de notre pays ! ».

Esteban Evrard , Liberté Actus.

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