Petro à Trump
En 1950, la presse britannique annonce avec quelque peu d’avance et surtout de légèreté la mort de Winston Churchill, qui fait aussitôt publier ce communiqué : « J’apprends par de nombreuses sources que je suis mort ce matin. C’est parfaitement inexact. » Un an plus tard, à 77 ans, il entame son troisième mandat de premier ministre. Le dernier. Il démissionne en 1955 et meurt le matin du 24 janvier 1965. Londres lui fait de grandioses obsèques nationales, planifiées dès 1953, soit douze ans plus tôt, après qu’il a été frappé d’une première attaque cérébrale. Des représentants de 112 pays participent à ce dernier hommage.
Ces obsèques sont comme la pierre angulaire du « mythe Churchill » que lui-même s’est plu à édifier depuis sa sortie de l’Académie royale militaire de Sandhurst, le 20 février 1895, après en avoir raté deux fois l’entrée, au grand dam de son père, Randolph, fils cadet du 7e duc de Marlborough.
Winston est un jeune homme orgueilleux, ambitieux et pressé. Il n’est pas fils de l’Angleterre, pas même de la Grande-Bretagne. Il est fils de l’Empire, vénérant « la grande œuvre qu’accomplissait l’Angleterre aux Indes, cette haute mission de gouverner ces races primitives mais pas déplaisantes à leur profit et au nôtre ». L’Empire, toujours l’Empire : « Si les Britanniques veulent avoir un grand empire et qu’un rayon de gloire puisse le baigner, alors il leur faudra une race impériale pour porter le fardeau. »
Pour se faire un nom en politique, il veut commencer par se faire héros sur le champ de bataille. Churchill aime la guerre. Il l’aimera toute sa vie. Servant en 1915 sur le front de l’Ouest comme commandant du 6e bataillon des Royal Scots Fusiliers avec le grade de lieutenant-colonel, il écrit à sa femme : « J’aime cette guerre. Je sais que ça fracasse et brise la vie de milliers de personnes à chaque instant – et pourtant – je ne peux pas m’en empêcher – j’en apprécie chaque seconde. » Plus tard, après la fin de la Première Guerre mondiale, quand il sera nommé secrétaire d’État aux Affaires militaires et aériennes, il dira : « Quel est l’intérêt d’être secrétaire militaire s’il n’y a pas de guerre ? »
Dès 1895, sorti de Sandhurst, il demande à servir dans le 4th Queen’s Own Hussars du colonel Brabazon, qui s’apprête à partir pour les Indes. Il espère y faire son baptême du feu. L’affaire tardant, il se fait envoyer par le journal « le Daily Graphic », en novembre 1895, à Cuba où les Espagnols sont confrontés à une insurrection. Il s’engage à leurs côtés. Mais il reste sur sa faim.
Il sert en Inde, où, selon ses dires, il s’ennuie, et au Soudan. Il démissionne de son commandement de cavalerie en 1899 pour devenir correspondant pendant la guerre des Boers en Afrique du Sud. Fait prisonnier, son évasion spectaculaire fait de lui le héros national qu’il cherchait à être. Comme il l’avait imaginé, ce « haut fait d’armes » lui ouvre la porte du Parlement où il est élu en 1900 dans les rangs des conservateurs, qu’il quitte quatre ans plus tard pour rejoindre le Parti libéral. En 1906, Winston Churchill rencontre Violet Asquith. Une étroite amitié va les lier tout au long de leur vie. Au moment de leur rencontre, le Parti libéral vient de gagner les élections.
Le père de Violet, H. H. Asquith, est chancelier de l’Échiquier. Winston Churchill est nommé sous-secrétaire d’État aux Colonies. Son premier poste gouvernemental. Et c’est depuis celui-ci qu’il déclare : « Je pense que nous devrons prendre les Chinois en main. Je crois qu’à mesure que les nations civilisées deviennent plus puissantes, elles deviendront plus impitoyables, et le moment viendra où le monde ne supportera plus l’existence de grandes nations barbares qui peuvent à tout moment s’armer et menacer les nations civilisées. Je crois en la partition ultime de la Chine, je veux dire ultime. J’espère que nous n’aurons pas à le faire de nos jours. La lignée des Aryens est appelée à triompher. »
À la veille de la Première Guerre, en 1911, il est nommé premier lord de l’amirauté. Quand la guerre éclate, il croit enfin tenir « sa » guerre. Mais la défaite militaire de la bataille des Dardanelles (1915-1916), une campagne visant l’Empire ottoman dont il avait été l’un des principaux promoteurs et qui a échoué, faisant côté Alliés près d’un demi-million de morts (205 000 Britanniques, 47 000 Français), contraint Churchill à démissionner de son poste.
Face à la révolution d’Octobre, Churchill fait montre d’un antibolchevisme des plus virulent. Au reste, celui-ci était dans la lignée de l’aversion pour la classe ouvrière qui l’avait conduit, en 1911, à réprimer durement une grève des travailleurs des transports, contre lesquels il avait envoyé une canonnière et plus de 50 000 soldats qui sous son autorité avaient ouvert le feu sur des civils à Liverpool et Llanelli, tuant quatre personnes. Un an plus tôt, Churchill avait mobilisé des troupes pour menacer les mineurs en grève à Tonypandy, au pays de Galles. La guerre intérieure était aussi une guerre !
En 1919, devant la Chambre des communes, Winston Churchill considère « le bolchevisme comme une maladie et non une politique. Ce n’est pas une croyance, mais bien une peste ». Il dénonce alors les dirigeants « juifs internationaux et athées ». Le premier ministre Lloyd George dit de lui qu’il est « une personne dangereuse qui a le bolchevisme dans son cerveau. Il se voit entrer à Moscou sur un cheval blanc, dans un cortège triomphal après la défaite des bolcheviks, et se proclamer le sauveur de la Russie ».
Churchill n’usait d’aucune précaution dans sa pratique de la guerre. Il avait ordonné en 1920 à la Royal Air Force d’utiliser du gaz toxique contre les rebelles kurdes dans le nord de l’Irak. Il expliquait dans un mémorandum secret : « Je ne comprends pas cette attitude délicate à l’égard de l’utilisation du gaz. Je suis fortement en faveur de l’utilisation de gaz toxiques contre les tribus non civilisées. » Il va employer cette « arme miséricordieuse », selon ses propres termes, contre les « rouges » en Russie.
Dans le village d’Emtsa, à environ 200 kilomètres au sud d’Arkhangelsk, puis en septembre 1919 dans plusieurs villages tenus par les bolcheviques : Tchounova, Vikhtova, Potcha, Tchorga, Tavoygor et Zapolki. Plus tard, s’adressant à Mussolini lors d’un séjour à Rome en 1927, il déclare : « Votre mouvement a rendu un service au monde entier. Si j’avais été Italien, j’aurais été de tout cœur avec vous de bout en bout dans votre lutte triomphale contre les passions bestiales du léninisme. »
Le mythe est né. Il va grandir avec le blitz et la résistance des Anglais aux attaques aériennes allemandes. Il grandira encore avec l’engagement britannique en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, et enfin avec le débarquement du 6 juin 1944. Pourtant, jusqu’au dernier moment, Churchill s’y est opposé, préférant une opération en Méditerranée, en Grèce par exemple, dans les Balkans, dans le but d’empêcher l’avance soviétique en Europe orientale et surtout de protéger les intérêts de la couronne au Proche-Orient.
La nocivité du racisme de Churchill a continué de se manifester au plus fort de la guerre. Plus de 5 millions de personnes sont mortes pendant la famine au Bengale, en 1943. Churchill a refusé que le grain stocké en Inde soit distribué aux Bengalais. Il disait que les Indiens avaient l’habitude de mourir de faim. « Je déteste les Indiens, ajoutait-il, c’est un peuple d’animaux avec une religion bestiale. » Les Indiens, ajoutait-il encore, s’élèvent « comme des lapins », « les secours ne serviraient à rien ».